Philippe Bertrand : l’homme au micro des gens
Sur France Inter, il produit et anime l'émission quotidienne "Carnets de campagne", et depuis dix ans, donne la parole à ceux qui, en région, bâtissent des projets locaux et solidaires. Mais Philippe Bertrand ne se contente pas de relayer les initiatives des autres, il est, dans sa Bourgogne natale, un citoyen engagé.

« Carnets de campagne, bonjour ! » Le voyant rouge s’est allumé et la voix familière, chaleureuse, s’élève comme tous les jours du lundi au vendredi, à 12h30 sur France Inter. Le titre de l’émission, Philippe l’a trouvé comme un clin d’oeil, au début de la campagne présidentielle de 2007. Et contre toute attente, le succès de ce quart d’heure d’antenne quotidien, coincé entre La Bande originale de Nagui et le Jeu des mille euros, ne fait que s’amplifier. Les courriers, les appels, les témoignages affluent, partagés par les réseaux sociaux, apportant la preuve que de belles va leurs motivent de nombreuses initiatives dans tous les domaines et que malgré- ou à cause de – la crise et l’horizon menaçant, la créativité explose : « Tout bouge, partout », dit-il.
Derrière la vitre, dans la pénombre du studio, la mèche en bataille sous le casque, Philippe s’apprête à lancer le cours de la Bourse… Le CAC est dans le rouge.
Quelques minutes plus tard, de retour dans son bureau, « le » nom est prononcé: Aignay-le-Duc. Pour ceux qui ne situeraient pas très bien ce village d’à peine trois cents habitants et que la mention des communes voisines, Montmoyen, Étalante ou Duesme n’éclairerait pas davantage, précisons qu’il appartient à l’arrondissement de Montbard, et plus largement au pays châtillonnais. C’est là que Philippe a passé vingt ans, là qu’il revient aussi souvent qu’ille peut, et qu’avec ses amis, il travail le à redonner vie et dynamisme à un territoire en déshérence. Il se rappelle ses jeux d’enfant, quand un paysan ramenait ses vaches qui laissaient des bouses sur la route : « Avec mon petit vélo rouge, je slalomais jusqu’au moment où je me disais : allez… on fonce au milieu ! Et j’en avais… du garde-boue jusque sur le dos, mais ça sentait surtout l’herbe fraîche ! »

Depuis dix ans, Philippe Bertrand met en lumière les initiatives locales dans son émission « Carnets de campagne ».
Il y avait encore à Aignay de l’agriculture, de l’élevage, de l’emploi, deux épiceries, trois bistros, deux hôtels restaurants, un magasin de vêtements. Aujourd’hui, il subsiste une boulangerie et une petite supérette. « Mais le haut débit vient d’arriver, ce qui a aussitôt changé la donne. Cinq maisons ont été achetées, dont l’une par un informaticien qui s’installe avec femme et enfants. Inespéré ! »
J’aime bien les gens, mais, je n’aime pas les cons, je n’aime pas les personnes qui trichent.
C’est peu dire que Philippe est lancé… « C’est marrant le découpage de la Côte-d’Or. Le sud est viticole, riche, et a tendance à être plus à gauche, et le nord très agricole, forêts, carrières, est plus pauvre, mais plus à droite. On y vote à 25-30% pour le FN. C’est normal, ironise-t-il, le dernier étranger qu’on a vu, c’était en 1945, il était blanc, c’était un soldat anglais ou américain . Et puis c’est normal aussi parce qu’on a peur de se faire voler des emplois. Sauf qu’il n’y en a plus. Donc, il n’y a pas d’étrangers et pas d’emploi. Mais ça fait partie des phobies de beaucoup de régions délaissées. »
Et Philippe pointe la responsabilité de « ceux qui continuent à dire que la politique économique d’un territoire c’est l’accueil d’entreprises. Mais aucune entreprise
ne vient là ». Exemple, cette « zone d’activités, ouverte il y a deux ans à proximité de Montbard, avec un rond-point qui a coûté très cher et qui embête tout le monde. Là, on est en train de brader le mètre carré à deux euros. Même chose à Tonnerre, tout est en place, eau, électricité, voies de circulation, sauf qu’il n’y a personne. À une époque, on avait recommencé à cultiver la parcelle, on voyait le paysan moissonner… »
Philippe s’investit pleinement dans toutes les actions qui peuvent favoriser le développement local, l’aide à l’installation, l’animation culturelle, la mutualisation de nouvelles activités. Combattre l’inertie, la mauvaise foi, les schémas dépassés ne lui fait pas peur. À la Fondation Morvan-Terre de vie en Bourgogne, créée en 2014 sous l’égide de la Fondation de France, Sophie Jouët, déléguée régionale à qui il apporte son concours, brosse le port rait d’un professionnel au regard aiguisé, travailleur acharné, entier, et vrai Bourguignon, joyeux camarade, aimant la gastronomie, le bon vin et la musique.
En 2008, il a été élu conseiller municipal, puis a démissionné pour ne pas cautionner un projet généreux sur le papier mais calamiteux financièrement. Et on constate qu’à l’occasion, le type fraternel des Carnets de campagne ne mâche pas ses mots. Et l’occasion est fréquente : « J’aime bien les gens, mais je n’aime pas les cons, je n’aime pas les personnes qui trichent. » Ce que confirme son ami Laurent Grzybowski, journaliste à La Vie : « Philippe est un passionné, il ne supporte pas l’injustice il pique des colères, mais ce sont de saines colères, un peu comme… l’abbé Pierre ! »
Ou comme Maurice Clavel, le grand imprécateur, que Philippe affectionne. Le voilà qui évoque un numéro de l’émission Apostrophes en 1977. Bernard Pivot avait réuni la bande des nouveaux philosophes autour de Clavel « qui parlait comme ça… » et Philippe rugit à la façon du philosophe chrétien. « Il y avait aussi Bernard-Henri Lévy, avec sa chemise ouverte, et Glucksmann… » Imitation de Glucksmann. « Je les trouvais assez séduisants, ces gens-là, qui se rencontraient à Vézelay. » Sans doute ne sont-ils pas étrangers au choix qu’il a fait d’étudier la philosophie, qu’il a d’ailleurs enseignée pendant trois ans.
La conversation file sur la Bourgogne et Philippe évoque Gaston Bachelard qui a vécu à Dijon. « Mon prof de philo avait été son disciple … Gaston Bachelarrrd, mon maîtrrre ! disait-il en rrroulant les r r r. »
« Il vous a fait des imitations ? », s’enquerra Laurent Grzybowski, en riant, lors de notre entretien.
Un bon moyen de faire sortir Philippe de ses gonds, est de lui parler de la voiture à Paris. Si on s’attend à ce qu’il appuie les efforts d’Anne Hidalgo, c’est raté. Version largement abrégée :
« La vitesse limitée à 30 km/h. Pourquoi pas 12 ? Pourquoi pas 2 ? Pourquoi pas en marche arrière ? Ça, ça m’emmerde !
– Mais les particules fines…
– Ce n’est pas seulement la bagnole!
– C’est beaucoup la bagnole. Le développement des transports en commun…
– Mais l’un n’empêche pas l’autre ! Il vaudrait mieux fermer des zones à la circulation…
– Les quais ?
– Les quais, c’est une connerie ! Il y a toujours des gens qui ont besoin de circuler, du coup ça crée des bouchons et ça pollue comme il faut…
– Alors il faut carrément se passer de voitures à Paris ?
– Non ! Il faut arrêter de faire chier ! »
Ah bon. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que, profondément attaché au service public, il est heureux à France Inter, où il considère que « les journalistes ne connaissent pas d’autre censure que celle qu’ils s’imposent à eux-mêmes ».
Je me sens métamorphosé dès que je sors de l’autoroute près de Tonnerre.
Ce qui est sûr également, c’est qu’il ne se voit pas tenter de s’accrocher au micro déraisonnablement. Il faut savoir partir à temps. Alors, on verra. Et bien d’autres choses l’intéressent. Laurent Grzybowski, également musicien, évoque les soirées d’été à Aignay, où Philippe trimballe dans sa vieille voiture (pardon Madame Hidalgo) tout un matériel très sophistiqué : « Il y aurait de quoi animer des bals ! », assure-t-il, admiratif. Philippe touche à tout : piano, guitare, percussions…
« Paris est une ville magnifique », reconnaît finalement ce lui-ci, en tirant sur sa cigarette au grand soleil, devant la maison de la radio. « Mais je me sens métamorphosé dès que je sors de l’autoroute près de Tonnerre. Pour ma deuxième ou troisième partie de vie, si je ne fais pas ce que j’ai envie de faire chez moi, de m’y installer, alors j’aurai manqué quelque chose d’essentiel. »
Anne Duvivier

Heureux à France Inter, Philippe Bertrand reste attaché à sa vie en dehors de la maison de la radio, sur ses terres bourguignonnes.